Les dirigeants russes n'avaient pas réagi dimanche aux manifestations
sans précédent la veille de l'opposition contestant la victoire du parti
de Vladimir Poutine aux législatives du 4 décembre, alors que des
experts y voient un véritable défi pour le régime.
Ce mouvement d'une
ampleur jamais vue depuis l'arrivée au pouvoir en 2000 de l'ex-agent du
KGB a réuni samedi à Moscou de 50.000 à 80.000 personnes selon des
estimations indépendantes (25.000 selon la police) et plusieurs milliers
de manifestants dans une cinquantaine de villes du pays.
Ces
manifestations ont été organisées pour dénoncer les fraudes qui, selon
l'opposition, ont permis au parti au pouvoir Russie unie de remporter
les législatives.
Le gouvernement russe n'a aucun commentaire à faire
à ce sujet, a déclaré le porte-parole de M. Poutine, Dmitri Peskov, au
principal site russe d'information en ligne, gazeta.ru.
La seule
réaction officielle jusqu'ici à la plus grande manifestation
d'opposition à Moscou depuis les années 1990 a été celle d'un
responsable du parti au pouvoir Russie unie, Andreï Issaïev, estimant
que ce n'était "pas beaucoup pour une ville de plusieurs millions
d'habitants".
"Néanmoins, nous allons analyser soigneusement ce qui a
été dit et les motifs de mécontentement (des manifestants)", a-t-il
ajouté.
La mobilisation a été exceptionnelle à la manifestation à
Moscou où les rassemblements d'opposants -- pour la plupart non
autorisés -- réunissaient jusqu'à présent en général quelques centaines
de personnes.
Alors qu'elles avaient observé un black-out depuis le
début de la contestation, des chaînes de télévision contrôlées par
l'Etat russe ont ouvert leurs journaux sur ce sujet samedi soir.
"Je
n'arrive pas à y croire! Ont-ils vraiment décidé de parler de ça?",
peut-on lire sur un compte Twitter de la chaîne publique Pervyi Kanal.
Selon
une source au Kremlin citée par gazeta.ru, cette décision aurait été
prise par le président Dmitri Medvedev qui aurait également donné pour
instruction à la police de Moscou de se comporter avec modération.
La
manifestation dans la capitale s'est achevée sans la moindre
interpellation alors que des dizaines de personnes ont été appréhendées
dans d'autres villes du pays.
L'un des leaders de l'opposition qui
organise la contestation, l'ancien ministre Boris Nemtsov, a indiqué
dimanche à la radio Kommersant FM que de nouvelles manifestations
étaient prévues les 17, 18 et 24 décembre.
"Nous allons poursuivre notre mouvement de protestation tant que nos exigences ne seront pas satisfaites", a déclaré M. Nemtsov.
L'opposition
réclame l'organisation de nouvelles élections et la libération des
personnes condamnées à des peines allant jusqu'à 15 jours de prison
après avoir été interpellées lors des premières manifestations
organisées à Moscou et Saint-Pétersbourg au lendemain du vote.
Ces
élections sont "la goutte d'eau qui a fait déborder le vase", après le
mécontentement grandissant de la population face aux injustices et à la
corruption, estime Evgueni Gontmakher, de l'Institut du développement
contemporain.
"Les gens ont pris goût aux manifestations de masse et
sont prêts à se mobiliser à nouveau à tout moment et pour n'importe quel
prétexte", ajoute l'expert.
Cette mobilisation intervient à moins de
trois mois de la présidentielle du 4 mars, à laquelle Vladimir Poutine a
annoncé son retour au Kremlin où il pourrait rester théoriquement
jusqu'en 2024 après avoir y avoir déjà passé huit ans (2000-2008).
"Il
n'y a plus aucune confiance envers les dirigeants, c'est une crise
politique grave", avertit Alexeï Malachenko, expert au Centre Carnegie
de Moscou. "Si l'élection présidentielle avait lieu demain, Poutine
aurait très peu de voix".